Jean-Louis Lagnel premier des santonniers ?
Publié le 20 Novembre 2013
Jean-Louis Lagnel premier des santonniers ?
Dans le cadre du 56ème salon, une vitrine de l'exposition sur l'histoire du santon est consacrée à Jean Louis lagnel et présente des tirages réalisés à partir de ses moules. Difficile en effet de trouver des santons créés par Lagnel en personne. Déjà il ne signait que ses moules et surtout rares sont les musées nou collectionneurs à posséder d'authentiques santons entièrement sortis de ses mains. Pourtant des photos sont visibles, notamment dans le très beau livre de Régis Bertrand "Crèches et santons de Provence". Certes pas mal de copies circulent, parfois remarquablement bien décorées comme le faisait René Pesante, parfois attribuées un peu trop vite à Lagnel en personne comme le sont parfois certains santibelli dont la facture est proche du style propre à Lagnel. Bref difficile de voir des vrais Lagnel. En tout cas pas à Marseille où les belles collections de la Maison Diamantée qui recèlent peut-être des trésors inconnus, sont absentes des musées rénovés de Marseille.
De Lagnel on connait surtout ses moules.
Réutilisés par ses successeurs, ils vont favoriser le développement du santon populaire.
Un capucin de Marseille, sculpteur de son état...
André François, dans son livre "Santoun" (publié en 1972), évoque un capucin comme étant le créateur des premiers petits santons de crèche : "Au demeurant, quand fut donc modelé pour la première fois un véritable santon d'argile ? Tout laisse à penser, nous l'avons vu, qu'il naquit dans les dernières années du dix-septième siècle, mais que sa diffusion populaire ne débuta qu'au dix-huitième. La lettre que le santonnier Guichard, l'un des meilleurs de son temps, écrivait au félibre Charles Martin, le 19 août 1908, corrobore et justifie pareille opinion : « J'ai toujours entendu dire que c'était un capucin de Marseille, sculpteur de son état qui, le premier, copiant en cela les santons de la crèche de son couvent, eut la pensée d'en faire d'une petite dimension à l'usage du peuple, cela au dix-septième siècle, et d'autres sculpteurs l'imitèrent. »
C’est Jean louis Lagnel qui crée des moules pour obtenir des santons d'argile.
Mais ce sera seulement à la fin du XVIIIème siècle que sera créée la technique du santon d’argile obtenu par estampage dans un moule en plâtre conçu à cet effet. C’est Jean louis Lagnel qui met au point le procédé permettant d’obtenir des santons décorés en terre crue et pouvant grâce au moulage être diffusés en quantité importante. En simplifiant encore la réalisation de santons obtenus directement après moulage sans adjonction des membres et accessoires comme c’est le cas pour les santons les plus aboutis, Lagnel est à l’origine du santon bon marché tiré à de nombreux exemplaires. Ainsi il est le premier véritable santonnier, sans pourtant avoir jamais été désigné comme tel de son vivant. Connu comme sculpteur, céramiste, figuriste, il a exercé divers métiers et on ne sait que peu de choses sur lui Le métier de santonnier ne sera officiellement reconnu qu’au début du XXème siècle.
Ci-dessus : photos de moules et leurs tirages dans la vitrine consacrée à Lagnel au 56ème salon d'Arles.
Ci-dessous photos diverses de moules et reproductions provenant de musées ou autres expositions antérieures.
Moules et tirages de Lagnel, exposition René Pesante Atelier Thérèse Neveeu Aubagne 2008
Il faudra attendre 1953 pour connaître le nom exact de Lagnel
C’est Pierre Ripert dans un article publié en 1955 sur les origines de la crèche provençale et des santons, dans la revue "Marseille" qui nous apprend qu'il faudra attendre 1953 pour connaître le nom exact de Lagnel, quand Léopold Dor fera don de sa collection de moules anciens (datés et signés Lagnel) au musée du "Vieux Marseille".
« Nous avons retrouvé l'état civil du premier de nos santonniers, né en 1764 et mort à Marseille le 17 septembre 1822, âgé de 58 ans. Il est porté : figuriste, demeurant 70 rue Caisserie, fils de Joseph Lagnel, et de Marie Cadière, époux de Madeleine Ramoina. Les tirages de ses moules montrent que cet artiste avait de sérieuses connaissances de modelage. C'est grâce au don de maître Léopold Dor que le nom du créateur du santon populaire d'argile est fixé aujourd'hui. »
L’identité de Lagnel ainsi que son oeuvre étaient plutôt mal connu auparavant. Elzéard Rougier en effet, dans son Histoire des Santons le désigne approximativement sous le nom d'Agnel ! Et Marcel Provence lui aussi dans sa "Nouvelle Histoire du Santon" publiée en 1949, cite Agnel en ses termes : "Les premiers santons en argile crue, d'un type qui ne devait plus varier dans l'essentiel, parurent à la foire de Noël, à Marseille, en I808. Le sieur Agnel, modeleur, fut peut-être le créateur de ces formes. On lui devrait aussi le santon-mouche, plus tard santon-puce, ainsi nommé à cause de sa menue dimension. Aux personnages de la sainte histoire, Agnel ajouta les personnages familiers, le boulanger, le pêcheur, la poissonnière que rejoignirent bientôt et un à un tous les acteurs de la vie provençale."
Moules de Lagnel et tirages, Musée de Château Gombert
Lagnel a créé et laissé quantité de moules dont certains signés et datés.
Il sera copié par des santonniers utilisant ses moules. Il reste peu de santons réalisés entièrement par Lagnel.
Notre enquête sur l'origine des santonniers provençaux, s'annonce donc déjà sujette à rebondissements. Ce qui est sûr c'est que Lagnel a créé et laissé quantité de moules dont certains signés et datés, le plus ancien (une femme debout) de 1797, fin du XVIIIème donc. Mais il reste peu de santons d’époque dont on ait l'assurance qu'ils aient bien été moulés, assemblés et décorés par Lagnel en personne. Difficile donc de trouver de vrais santons de Lagnel, même dans les musées ou expositions. Quelques collectionneurs ont ce privilège rare sans être sûrs pour autant d'avoir un authentique Lagnel car si ses moules étaient signés, sa production ne l'était pas. Par contre les retirages effectués à partir de moules d'époque sont plus fréquents. Certains sont réalisés à l'état brut et présentés à côté du moule original, ce qui semble être le plus normal. D'autres ont été estampés et décorés par des santonniers qui ont pu se procurer ses moules. C'est ce qu'on fait René Pesante, Cursat, Caillol et d'autres encore avec plus ou moins de bonheur. Ce qui est sûr c'est qu' à force de copies, de moulage et même de surmoulage, de modification des gestes ou attitudes du personnage, ou d'ajout d'accessoires au sujet original et d'une décoration à l'autre, Lagnel et ses successeurs ont donné naissance à une foule de santons qui suite à la dispersion des moules ont plus ou moins gardé un air de famille ou de ressemblance qui permet sinon de les identifier comme tels, du moins de les suivre à la trace. Voilà qui nous rappelle notre actualité avec ses problèmes de traçabilité. Mais de là à parler de traçabilté des santons de Lagnel, est-ce bien raisonnable ?
santons et santibelli , moules de Lagnel, tirages de Simon, exposition René Pesante Atelier Thérèse Neveu Aubagne 2008
Pierre Ripert explique les choses en d'autres termes toujours dans ce même article sur les origines de la crèche provençale et des santons. Pour lui il s'est créé après Lagnel et quelques autres vrais santonniers (que nous présenterons ici plus tard), un véritable fond commun des santons devenus populaires, bon marché et de moindre qualité ( ce qui fait parfois tout leur charme). Extraits :
"Les vrais santonniers n'ont jamais été très nombreux..."
"Lagnel, Louche, Batellier, sont les premiers noms à inscrire dans le début de l'art santonnier à Marseille..... Par la suite, les séries de santons de Pastourel, Antoine Simon, Joseph Boyer qui sont les seules à peu près identifiables sont postérieures de 25 années (des environs de 1830) ; mais les noms de A. Mai, Amalbert, Bremond Aîné, de la même époque se perdent déjà dans la production anonyme qui se continuera jusqu'après le Second Empire (Léon Simon mis à part) et en partie même jusqu'à nos jours à Marseille. Les vrais santonniers- c'est-à-dire ceux modelant d'abord eux-mêmes leurs maquettes, puis tirant leurs épreuves, ensuite les peignant et enfin les vendant à la foire- n'ont jamais été très nombreux. Le fond d'un artisan-santonnier est uniquement constitué par ses collections de moules, qu'il en soit l'auteur, ou qu'il les détienne par succession ou par l'achat à un tiers…."
"Une sorte de fond commun des santons s'est constitué."
"A la suite de moulages successifs les uns sur les autres, une sorte de fond commun des santons s'est constitué. Si l'on fait exception de quelques rares créations éventuelles et particulières les types classiques dans l'ensemble diffèrent très peu les uns des autres. Ces créations, éventuelles du reste, après une durée éphémère retombent vite dans l'oubli." ...
"Le métier anciennement était très pauvre."
"Le métier anciennement était très pauvre; des ouvriers, des artisans des professions les plus diverses le pratiquaient en dehors de leur gagne-pain habituel. Quelques artisans mieux organisés pouvaient alimenter le débit de demi-gros qui s'adressait aux commerçants des villages environnants. Les modèles les plus courants de santons de 0.06 à 0.08 de haut valaient 3fr.50 le cent. Ils étaient revendus 0.05 à 0. I0 la pièce. Une concurrence effrénée pour une marchandise dont l'acheteur ne regardait que le bas prix avilissait la qualité !"
moules de Lagnel
Des santibellis attribués à Lagnel, reproduits par René Pesante ( musée des santons de Château-Gombert)
Sur ce blog un article a déjà été consacré à Lagnel, pour y accéder, cliquer : voir ici
A suivre...